Loi de programmation pour la Justice

Loi de programmation pour la Justice

9 octobre 2018 Non Par CGT Pénitentiaire

Déclaration de la CGT Pénitentiaire devant M. Didier Paris, Député,  rapporteur de la commission des Lois de l’Assemblée nationale sur le projet de loi de programmation 2018-2022 pour la justice.

 

  1. le Rapporteur, Mesdames, messieurs,

 

La CGT Pénitentiaire vous remercie de cette invitation qui vise à recueillir l’avis de notre organisation relatif aux débats qui vont avoir lieu dans cette enceinte concernant « la loi de programmation pour la Justice ». Permettez-nous d’abord de vous indiquer que nous aurions préféré que le gouvernement puis les membres de cette commission fassent un travail de concertation plus en amont dans l’élaboration de ce projet, en lieu et place de cette unique rencontre sur la question.

Le 6 mars dernier à Agen, le président de la République a prononcé des mots importants sur la pénalité. Il a reconnu que, trop centré sur la prison, le système pénal était à bout de souffle et source d’importantes atteintes à la dignité en détention. Cependant, entre incohérences et faussetés, la réforme qu’il propose risque surtout d’alimenter le mal qu’il dénonce.

Lors  de la présentation du plan prison au conseil des ministres, le 12 septembre 2018, la ministre de la Justice indique que son projet de loi entend « redonner du sens à la peine ». La politique pénale qui sera donc menée doit baisser de 8000 le nombre de détenu. D’où l’incohérence selon nous de créer 7000 nouvelles places de prisons d’ici 2022. Il nous sera répondu sans doute que ces places visent à atteindre l’encellulement individuel. En effet, il y a 70 519 détenus au 1er août 2018 pour 59 870 places opérationnelles.

D’accord, mais pourquoi alors en engager 8000 en plus des 7000, dès ce quinquennat dès lors qu’on nous dit emprunter un chemin pénale qui diminue le nombre de personnes incarcérées ? Au-delà des discours schizophréniques et malgré une communication soignée mais tronquée, tout ceci ne peut pas masquer que le projet de loi soumis va produire l’inverse parfait. Rappelons que 59 établissements ont été ouverts entre 1990 et aujourd’hui, 7000 places à venir, puis 8000 autres. Toutes ces prisons depuis 1986 ont été ouvertes avec les mêmes arguments ciblant l’encellulement individuel, la sécurité, la lutte contre les violences, la dignité, les droits de l’homme, etc. Pourtant, tous les plans sont surpeuplés aujourd’hui.

Pour la CGT Pénitentiaire, les mesures proposées qui devraient favoriser le prononcé d’alternatives à l’emprisonnement ne sont en fait que la rengaine d’affirmations déjà contenues dans la loi, et qui pourtant ne fonctionne pas : On écrit ici ou là : « la prison est la dernière solution, les juridictions doivent d’abord envisager une alternative, mais aussi privilégier l’aménagement immédiat des peines ». Tout cela figure déjà dans le droit français, le projet de loi n’apporte rien de plus.

A contrario, la CGT pense que le projet de loi contient les germes de nouvelles propositions qui, elles, conduiront à davantage de détenus dans nos prisons. Quelques exemples et critiques :

–          Dorénavant, sans aucune exigence, une juridiction qui prononcera un ajournement aux fins d’investigation sur la personnalité pourra placer la personne en détention provisoire. Avec 30 % des détenus placés en détention provisoire, faut-il vraiment ouvrir une voie supplémentaire ?

–          On voudrait nous faire croire que l’aménagement des peines d’emprisonnement sera une priorité, pourtant, le principe actuel selon lequel les peines jusqu’à deux ans d’emprisonnement ont vocation à être aménagées est remis en cause : Dorénavant, toute personne condamnée à plus d’une année d’emprisonnement et sortie libre du tribunal ira mécaniquement en prison. Contre deux ans aujourd’hui. De nombreux professionnels estiment que ça ouvre mécaniquement la voie à plus d’incarcération.

–          Dorénavant, le tribunal correctionnel qui prononce une peine de six mois à un an d’emprisonnement pourra exclure formellement tout aménagement en ordonnant un « mandat de dépôt différé ». Une nouvelle voie qui facilitera l’emprisonnement : non seulement les seuils habituels du mandat de dépôt dans les audiences correctionnelles classiques sautent, mais tout se fera sans bruit. Le tribunal n’aura plus à assumer la violence de l’emprisonnement immédiat – l’émotion des proches, l’interpellation à la barre par les policiers – mais l’incarcération sera inéluctable. C’est un peu en la matière : « Cachez cet emprisonnement que je ne saurais voir ! »

–         Un autre objectif du projet est de faire en sorte qu’une peine de prison soit effective après qu’elle a été prononcée. Attention à ce type de mauvaises mesures qui n’a pour but que de démontrer une pseudo-fermeté : La mise en œuvre immédiate et automatique de toutes les peines de prison fermes prononcées provoquerait en quelques mois l’explosion du système carcéral. En effet le nombre de détenus est régulé de façon plus ou moins tacite par les délais qui existent entre le prononcé d’une sanction et sa mise à exécution. Environ 30 % des peines de prison ferme sont accompagnées d’un mandat de dépôt, c’est-à-dire que le condamné est emmené en prison directement à la sortie du tribunal. Pour les autres, le « stock » de peines à exécuter est en permanence d’environ 90 000, avec un délai médian de mise en œuvre de près de quatre mois.

–          De 0 à 1 mois, les peines seraient interdites ? Environ 10 000 peines de moins d’un mois sont prononcées chaque année mais la plupart sont déjà converties en peines alternatives. Les prisons comptent actuellement un peu moins de 300 personnes purgeant une peine de moins d’un mois. Par ailleurs, pourrait s’ouvrir la voie à une condamnation de deux mois

Au-delà qu’il engloutit à lui seul le budget Justice et ses hausses, sur le dos des personnels et de leurs conditions de travail, ce plan qui acte 15 000 nouvelles places, en deux quinquennats (dont 7000 d’ici à 2022), démontrent bien que la logique du tout carcéral est poursuivie et que les exercices de contorsion en mathématique, malgré leur communication habile, ne sont que duplicité !

  • À la place de la contrainte pénale, le gouvernement introduit une nouvelle peine, le bracelet électronique. En lui donnant au passage un nom plus carcéral : la « détention à domicile sous surveillance électronique ». Dans l’échelle des peines, la principale alternative à la prison prend donc la forme d’une surveillance accrue. D’autant que l’avant-projet de loi prévoit que cette peine puisse n’être qu’une assignation à résidence, avec autorisations d’absence réduites, sans mesure d’aide, ni d’assistance : en somme, la prison chez soi, avec possibilité d’envoi en établissement pénitentiaire en cas d’écart. Cette approche risque d’accroître et de banaliser le contrôle et la contrainte en milieu libre, sans pour autant faire diminuer le recours à l’emprisonnement ni favoriser la prévention de la récidive.

Pour la CGT Pénitentiaire, c’est comme si personne n’avait rien retenu de l’Histoire : En réalité, en consolidant le principe central de la peine de prison, et sans modifier en profondeur les conditions dans lesquelles les personnes sont jugées, cette réforme qui est présentée comme une avancée et un moyen d’éviter la prison à des milliers de personnes, risque grandement de produire l’effet inverse : mener à un nombre toujours croissant de détenus. La preuve par le nombre de places proposée à la création. Dans les faits, si la batterie de peines alternatives à l’incarcération déjà existantes sont aujourd’hui trop peu prononcées, c’est qu’elles sont considérées des ersatz à la seule véritable sanction qui serait la prison.

Egalement, le président veut multiplier le travail d’intérêt général au travers d’une agence nationale : La CGT rappelle que jusqu’à présent, le travail d’intérêt général (7 % des peines prononcées – 280h max) est non rémunéré et exécuté dans un service non marchand au bénéfice de la collectivité. Le Président veut permettre aux entreprises privées d’en proposer. La CGT s’y oppose. N’y a-t-il pas assez de chômeurs dans ce pays ? Après avoir traversé la rue pour trouver un emploi, faudra-t-il demain passer par la case prison ? Pour la CGT, le TIG doit avoir une dimension de réinsertion par le travail. Il y a déjà de quoi faire avec les collectivités.

  • La CGT n’oubliera pas non plus l’absence de solutions crédibles quant à la situation du 1/3 de détenus atteints de troubles psychiatriques et qui sont difficiles à gérer par nos collègues.

La CGT Pénitentiaire pense que le Président et son gouvernement se situent dans un ni ni délicat. Oui, il faut moins de détenus mais trop de contradictions hantent les propositions, ce qui le conduit d’ailleurs à d’emblée envisager 15 000 supplémentaires à terme comme aveu d’échecs anticipés.

Enfin, la CGT Pénitentiaire ne peut conclure sans dire un mot sur le niveau de l’emploi de tout corps et notamment des personnels de surveillance : Quand bien même des efforts seraient faits en matière de création d’emplois, les campagnes de recrutement pour les surveillants pénitentiaires se succèdent et le constat est à un seuil critique. A chaque session, peu d’inscrits et très peu de candidats qui se présentent au concours. Le taux de présence aux dernières épreuves écrites du 05 septembre dernier a atteint un paroxysme avec seulement moins de 15 % de candidats présents ! Sans compter les collègues nombreux qui jettent l’éponge. Il y a urgence de travailler sur l’attractivité des métiers de la surveillance, en passant notamment par l’élévation statutaire. La CGT cherche désespérant la place des personnels pénitentiaires dans votre projet.

Paris, le 4 octobre 2018

 Loi de programmation pour la Justice – 2