Statut spécial : Un peu d’histoire…

Statut spécial : Un peu d’histoire…

15 mai 2019 Non Par CGT Pénitentiaire

A la sortie de la seconde guerre mondiale, l’administration pénitentiaire est totalement
désorganisée.
Paul AMOR* est alors nommé directeur de l’administration pénitentiaire le 30 septembre 1944.
Il est chargé de réorganiser cette administration en pleine déliquescence. Deux priorités lui sont alors
assignées. La première est de défendre les murs et de protéger certains prisonniers de la vindicte
populaire pendant l’épuration. La seconde est de mettre fin à la confusion interne : de nombreux
cadres se retrouvant du jour au lendemain incarcérés pour faits de collaboration.
A ces priorités s’ajoutaient une pénurie d’effectifs, une absence d’encadrement et de formation, des
salaires bas et un personnel souvent corruptible. Il était donc urgent de rétablir la hiérarchie et la
discipline et de recruter du personnel compétent.
La réflexion du tout nouveau directeur, liée aux priorités énoncées plus haut, tourne autour d’un projet
politique. Ce projet politique porte sur une réforme totale du système carcéral.
Cette réforme tient en trois idées, humanisation des prisons, individualisation des peines et
amendement des personnes détenues.
Cependant, cette réforme pénitentiaire qui fut mise en place au lendemain de la libération n’a touché
qu’une minorité de détenus, une poignée de surveillants et seulement une petite dizaine
d’établissements ; les autres prisons demeurant dans un état d’extrême vétusté.
Les rares établissements concernés ne servent alors que de « laboratoires expérimentaux » et sont
placés bien évidemment au coeur de la propagande officielle bien loin de la réalité sordide de
l’ensemble du monde carcéral. Les surveillants quant à eux restent « sans vocation et sans
formation » (tient, ça rappelle quelque chose !). Ils demeurent les éternels oubliés de l’histoire.
Dans ce contexte général, associé à une aggravation des incidents et un mécontentement
croissant des personnels, éclate, dix ans après, en juillet 1957, une grève des surveillants.
Elle se situe dans le cadre d’un climat social tendu dans le pays, climat qui touche nombre de
professions. Elle prend corps à la prison de la Santé pour rapidement s’étendre à tous les
établissements.
Le pays est alors en pleine guerre d’Algérie. De nombreux militants et de chefs historiques du FLN
sont incarcérés ; sans oublier par la suite des membres de l’OAS. Il n’est donc pas question pour
les pouvoirs publics d’une France dans une guerre que ne dit pas son nom, de perdre le
contrôle sur une mission régalienne aussi sensible pour la sécurité du pays.
Il s’agit donc de réaffirmer l’autorité de l’État en la matière. Il n’est plus question de mettre la
prison sous surveillance mais bel et bien de mettre les surveillants sous surveillance. C’est
dans cet état d’esprit qu’a été pensé et conçu le statut spécial, en 1958.
Statut spécial :
Un peu d’histoire…
Concrètement, il s’agissait de retirer le droit de grève en échange d’une sur-indiciation et d’un
statut référencé à celui des policiers.
On affirmait alors que cela ne pourrait se faire uniquement dans le cadre d’un statut spécial. Tout
comme on nous a affirmé, jusqu ‘à aujourd’hui, que l’on ne peut pas en sortir sans perdre des
« avantages ». Pure manipulation fallacieuse !
Pourtant, le Secrétaire d’État à la Fonction Publique de l’époque estimait, nous citons, qu’
« une procédure de révision du classement indiciaire pouvait intervenir dans le cadre du droit
commun de la Fonction Publique sans que les agents fussent enfermés dans un statut
spécial. ». Le conseil constitutionnel commence à lui donner raison, 60 ans plus tard !
Ce statut spécial a ainsi été vendu en 1958, à des organisations syndicales complices, contre un plat
de lentilles et l’apparence trompeuse d’une revalorisation et d’une identification sociale liées à la
notion de sécurité publique.
Ce fut un marché de dupe : l’abandon du droit de grève, l’abandon de notre liberté contre des
avantages qu’il aurait été possible d’obtenir de toute manière et d’une autre façon. Un marché
de dupe, d’autant plus que les gouvernements d’alors et jusqu’à aujourd’hui n’eurent de cesse
de rogner certains avantages concédés : Tels sur les remboursements de soins par exemple !
Si l’histoire ne se répète pas, elle a tendance du moins à bégayer. Car le marché de dupe a perduré.
Et les mêmes, toujours les mêmes, s’y laissent encore prendre. Il en a été pareil avec le code de
déontologie et la prestation de serment que l’on nous a imposé et ce, sans aucune contrepartie. Tout
en nous présentant cela comme étant une évolution normale et fondamentale de notre profession. Il
est curieux de constater comme, encore aujourd’hui, certains syndicats s’accrochent aux thèmes
fumeux de l’assermentation. Tout comme ils relaient l’administration qui prétend que le 1/5è et l’ISS
seraient la contrepartie du statut spécial : Faux, ces deux mesures ne sont ni dans l’ordonnance de
1958 (le statut spécial) ni dans le décret de 1966. Elles ne sont que le corollaire de nos particularités
d’agents pénitentiaires, traduites, telles le 1/5è, dans une loi tout autre !
La CGT a, pour sa part, toujours refusé de renoncer au droit de grève. Elle revendique
l’abrogation du statut spécial. Et elle reste plus que réservée devant le code de déontologie et la
prestation de serment qui ne sont que les derniers avatars d’un statut spécial rétrograde et liberticide.
Le Conseil Constitutionnel lui donne en partie raison aujourd’hui, l’histoire est en marche !
Paul AMOR*: Magistrat français, premier DAP, nommé au lendemain de la seconde guerre mondiale.
Il a notamment participé, dès 1945, à l’élaboration d’une importante réforme pénitentiaire (dite
“réforme Amor”) dont l’objectif était de placer l’amendement et le reclassement social du condamné
au centre de la peine privative de liberté. Il est mis en cause à propos d’une tentative d’évasion à la
maison d’arrêt de Laon, survenue le 8 avril 1944, soupçonné d’avoir aidé un réseau de la Résistance
et arrêté. Il s’évade, et parvient à délivrer 15 camarades menacés de déportation.


Montreuil, le 15 mai 2019.