Déclaration liminaire : CTAP du 28/03/2018

Déclaration liminaire : CTAP du 28/03/2018

28 mars 2018 Non Par CGT Pénitentiaire

Monsieur le président, Mesdames, Messieurs les membres du CTAP,

Ce Comité Technique qui s’ouvre aujourd’hui est le premier CTAP de l’année, mais surtout le premier CTAP depuis le conflit historique de Janvier 2018. La CGT Pénitentiaire souhaite donc d’abord vous dresser un état des lieux et vous faire connaitre ses critiques dans la gestion du conflit et de l’après conflit et ensuite évoquer quelques mesures du volet « sens et efficacité de la peine » annoncées par le Président de la République lors de sa venue à l’ENAP, et inscrites dans la loi de programmation présentée ce jour dans cette instance.

Tout d’abord et rapidement, nous souhaitions revenir sur les bases du conflit de ce début d’année et le manque de considération qui a été porté par ce Ministère à l’adresse de l’ensemble des personnels.

En effet, malgré un relevé de conclusion inabouti et signé par une seule et unique organisation syndicale, ne représentant aucunement la majorité de l’ensemble de la profession, les éléments inscrits au sein même de ce document ne résoudront en rien les problématiques rencontrées au quotidien par nos collègues sur le terrain. Les causes profondes de cette contestation ressurgiront donc à n’en pas douter dans les mois ou années à venir.

Depuis maintenant plusieurs années, les maux sont identifiés par l’ensemble des acteurs pénitentiaires sans aucune exception : Surpopulation pénale, mauvaise conditions de travail, sous-effectif récurrent,  manque de reconnaissance, insécurité, difficulté d’attractivité…

Ce constat alarmant est identique à celui qui avait été établi lors du conflit de 2015 et qui avait également abouti à un relevé de conclusion, signé cette fois ci par l’ensemble des organisations syndicales représentatives. Et pour autant, il n’a jamais été réellement mis en œuvre.

La CGT Pénitentiaire reste donc dubitative quand à une réelle volonté de changement de la part de cette administration à l’adresse de ces personnels, surtout lorsque l’on se permet d’analyser la manière dont vous avez géré cet après conflit. Là encore, tout le monde s’accordait à dire que les revendications portées par les agents étaient légitimes, et pour autant, en réponse à leur demande de reconnaissance, vous les sanctionnez à tour de bras. C’est inadmissible….

Cette manière de faire est indigne de notre temps et de ce Ministère, et montre bien qu’il existe aujourd’hui un fossé entre les belles paroles et les actes. Les personnels pénitentiaires ne l’oublieront pas et ils vous le rendront au centuple lorsque vous ferez appel à leur bon sens…

Concernant les annonces du Président de la République et les mesures incluses dans la loi de programmation pour la Justice, la CGT Pénitentiaire se permet quand même de rappeler quelques chiffres importants :

Au 1er février 2018, 69 596 détenus étaient hébergés dans les prisons françaises pour 59 848 places opérationnelles (dont 1 569 étaient hébergés à même le sol). Ceci représente donc une densité moyenne de 141 % concernant les maisons d’arrêt. Si la surpopulation pénale n’est pas la seule cause, elle représente une grande part des difficultés quotidiennes, des tensions, des surcharges de travail, et notamment, des difficultés à gérer des profils particuliers dont les Djihadistes et les radicalisés. J’évoquerai également et rapidement les questions d’emplois qui ne suivent jamais la courbe exponentielle du nombre de détenus et qui sont toujours calculés au plus juste, largement insuffisants pour garantir un ratio surveillants – détenus en notre faveur. Bien sûr, je vous rappellerai nos difficultés à être attractif et à recruter des collègues même lorsque des postes sont ouverts…

Enfin, 20 541 prévenus étaient incarcérés : vous le savez, une mise en examen entraîne soit la détention provisoire, soit un placement sous contrôle, soit un PSE. Il y avait, là aussi,  quelque chose de particulier à faire, notamment sur la question du PSE qui est sous utilisé en la matière. La détention provisoire doit être une exception comme la loi le prévoit, et non la règle, comme nous le vivons actuellement.

Sur les annonces du Président MACRON à proprement parler, les peines inférieures à six mois pourront être exécutées « hors prison ». Je tiens quand même à vous le rappeler que c’est déjà le cas pour des peines inférieures à deux ans.

Concernant l’interdiction de prononcer des peines inférieures à un mois de prison, la CGT Pénitentiaire pense que l’effet sera marginal sur la surpopulation carcérale. Environ 10 000 peines de moins d’un mois sont prononcées chaque année, mais la plupart sont déjà converties en peines alternatives. Les prisons comptent actuellement un peu moins de 300 personnes purgeant une peine de moins d’un mois. Les délits routiers ou de consommation de cannabis y sont surreprésentés. Cela ne concerne donc pas grand monde et ne pèsera en rien sur une diminution du nombre de détenus.

Mais plus globalement, il est très difficile, pour la CGT Pénitentiaire de mesurer l’impact de cette volonté politique sur l’évolution de la population carcérale. Ce sont les juges qui décident des peines. Si en principe, il n’y aura plus de peines inférieures à six mois exécutées en détention, la suppression de la possibilité d’aménager les peines supérieures à un an aura elle, un effet contraire. Dernier impact non mesurable : dans quelles proportions les juges prononceront les autres peines proposées de façon autonome comme le bracelet électronique et le travail d’intérêt général ?

Pour la CGT Pénitentiaire, il est grand temps de sortir des débats du type « les laxistes contre les sécuritaires » et inversement. Cette loi qui permet au juge d’application des peines d’aménager une condamnation inférieure à deux années d’emprisonnement ferme est une loi parue sur l’ère Dati en 2009, donc pendant un gouvernement de droite qui se voulait sécuritaire. Donc arrêtons avec ces « faux procès d’intentions ».

Un autre objectif de ce projet de réforme est de faire en sorte qu’une peine de prison soit mise à exécution immédiatement après qu’elle ait  été prononcée. Attention à ce type de mesures qui n’a pour but que de démontrer une soi-disant fermeté : La mise en œuvre immédiate et automatique de toutes les peines de prison ferme prononcées provoquerait en quelques mois l’explosion du système carcéral. En effet le nombre de détenus (69 696 au 1er février) est régulé de façon plus ou moins tacite par les délais qui existent entre le prononcé d’une sanction et sa mise à exécution. Environ 30 % des peines de prison ferme sont accompagnées d’un mandat de dépôt. Pour les autres, le « stock » de peines à exécuter est en permanence d’environ 90 000, avec un délai médian de mise en œuvre de près de quatre mois.

Enfin, le Président veut multiplier le travail d’intérêt général : Je rappelle que jusqu’à présent, le travail d’intérêt général (TIG) est non rémunéré et exécuté dans un service non marchand au bénéfice de la collectivité. Le Président veut permettre aux entreprises privées d’en proposer. Pour la CGT Pénitentiaire, c’est une drôle d’idée, car comment éviter le risque d’emploi d’une main-d’œuvre gratuite pour produire ? N’y a-t-il pas assez de chômeurs dans ce pays ? Déjà eux-mêmes désocialisés bien souvent. Le TIG doit avoir une dimension de réinsertion par le travail et il y a déjà de quoi faire avec les seules collectivités. Cependant pour la CGT Pénitentiaire, il y a sans doute nécessité de faire plus et mieux sur cette question puisque seulement 7 % des peines prononcées sont des TIG.

Nous passerons brièvement, sur la volonté du Président d’inscrire dans le code pénal une nouvelle échelle des peines : les interdictions, les stages (désintoxication, citoyenneté, etc.), le jour-amende, l’amende, le travail d’intérêt général, la probation, le bracelet électronique, la prison. L’objectif est que ces sanctions soient considérées comme de véritables peines par la victime, la société et l’auteur de l’infraction. La CGT Pénitentiaire tient quand même à vous alerter car si ces peines sont aujourd’hui trop peu prononcées, c’est qu’elles sont considérées comme de simples alternatives à la seule véritable sanction qui serait la prison dans l’esprit du plus grand nombre. On ne change pas l’opinion des juges comme cela, elle-même façonnée par les débats publics sécuritaires. Le dernier attentat dans l’AUDE, qui a vu notamment l’assassinat d’Arnaud BELTRAME auquel la CGT Pénitentiaire rend hommage, vient rappeler ces débats cités plus haut.

En conclusion, sur ce volet, la CGT Pénitentiaire pense qu’EMMANUEL MACRON, comme l’ensemble des membres de son gouvernement, se situe dans un ni-ni délicat. Oui, il faut moins de détenus mais trop de contradictions hantent ses propositions. Ce qui le conduit au pari risqué d’un plan 15 000 traduit par un plan 7000 : Depuis les années 1990, 59 nouveaux établissements pénitentiaires ont vu le jour, avec pour motivation les mêmes légitimes arguments qu’on nous ressasse sans cesse : Encellulement individuel, lutte contre les violences, la dignité, les droits de l’homme et j’en passe… Nous pensons que sa politique pénale revendiquée mais trop aléatoire est vouée à échec, il manquera alors 8000 places.

Sur ce point, l’histoire nous donne raison puisque l’ensemble de ces plans, censé résoudre tous les maux de la pénitentiaire, sont surpeuplés aujourd’hui sans qu’il y ait eu un réel impact sur la surpopulation pénale.

Pour la CGT Pénitentiaire, une politique pénale plus ambitieuse aurait permis de « prendre à bras le corps » ces différents problèmes qui côtoient notre quotidien dans nos établissements pénitentiaires.

Mais pour ce faire, il aurait fallu avoir plus de courage et d’audace dans les propositions.

Pardon pour cette déclaration un peu longue mais je ne peux conclure sans vous faire part que le dialogue social atteint sa cote d’alerte dans ce ministère. La CGT le rappelle, un bon dialogue social ne se mesure pas au nombre de réunion tenue mais à la qualité à écouter et à entendre : Nous n’avons ni l’un ni l’autre en ce moment.

La CGT Pénitentiaire, après avoir pris acte des éléments de réponse du DAP suite à notre déclaration liminaire, a décidé de claquer la porte du CTAP.

Paris, le 28 Mars 2018

 Déclaration Liminaire CGT – CTAP du 28 Mars 2018