AUDITION SÉNAT SUR LES   MINEURS INCARCÉRÉS :  COMPTE RENDU CGT.

AUDITION SÉNAT SUR LES MINEURS INCARCÉRÉS : COMPTE RENDU CGT.

21 juin 2018 Non Par CGT Pénitentiaire

Le Sénat a créé une mission d’information sur la réinsertion des mineurs enfermés, dont la présidente est Mme Catherine TROENDLE (Les Républicains-Haut-Rhin) et le rapporteur M. Michel AMIEL (LaREM-Bouches-du-Rhône). L’audition des organisations syndicales s’est tenue le 20 juin 2018. Elle était organisée en deux parties : la première était consacrée aux mineurs incarcérés (EPM et QPM). La deuxième était plus particulièrement destinée aux syndicats représentant le personnel de la PJJ (centres éducatifs fermés et milieu ouvert).

Une délégation conjointe de la CGT Pénitentiaire et de la CGT PJJ s’est rendue à cette audition.

 

Avant d’entrer dans le cœur des débats sur les structures et les missions des collègues la CGT Pénitentiaire a tenu à rappeler que la délinquance des mineurs tombe sous le coup de l’ordonnance de 45 qui définit clairement la primauté de l’éducatif sur le répressif et le caractère exceptionnel de l’enfermement. C’est-à-dire que l’Etat considère qu’une justice spécifique doit être adaptée aux mineurs que le législateur appelle lui-même des enfants.

 

Or, au 1er mai 2018, 869 mineurs sont incarcérés dans les EPM et QPM dont 75 % sont en détention provisoire. Pas terrible pour une justice en théorie « d’exception » qui révèle la place croissante accordée à la contrainte dans la réponse à la délinquance des mineurs. Ces détentions provisoires ne sont d’ailleurs pas sans poser de problème au regard des délais de jugements. Si en moyenne la durée d’incarcération d’un mineur et de quatre mois, la justice spécifique des mineurs tend à se rapprocher de celle des majeurs. Comme pour les adultes, les établissements et quartiers d’accueil des mineurs sont surchargés et ici ou là, on observe déjà en EPM des matelas au sol. Même si cette augmentation reste peu visible dans la situation d’augmentation massive et de surpopulation pénale des majeurs, elle est continue depuis 2002.

 

Il en découle une politique en échec puisqu’au regard des derniers chiffres connus concernant la récidive des mineurs (Benaouda, Kensey, 2012), le taux de « recondamnation » dans les 5 ans est de l’ordre de 70 %, plus élevé encore que chez les majeurs (63 %). Et encore, les mineurs devenus majeurs ne sont pas pris en compte. Pourtant, de nombreux pédopsychiatres s’accordent à dire que l’enfermement est « la pire des réponses » : « Elle provoque l’isolement sensoriel, entretient les relations toxiques. En sortant de prison, on constate que le mineur n’est plus apte à réguler ses émotions. L’idée reçue selon laquelle l’incarcération permettrait de remettre un jeune dans le droit chemin est loin de la réalité. Le plus souvent, elle accélère l’ancrage dans la délinquance, elle fragilise les liens familiaux, socialise dans un milieu criminogène, y confère un statut ».

 

Partant de l’ordonnance de 45, la CGT Pénitentiaire est constante dans ses positions : Elle réaffirme que transformer les EPM en vraies prisons comme le réclament certains, serait une grave erreur. Il faut au contraire renforcer l’accompagnement éducatif avec un personnel, socio-éducatif de la PJJ et de surveillance, plus nombreux et mieux formé, disposant de moyens et règlements clairs pour accomplir ces missions.

Cela ne peut être possible que si le nombre de détenus dans les EPM est strictement respecté, car la surpopulation dans ces établissements rend les objectifs impossibles à atteindre.

Diversifier les structures et les réponses éducatives pour répondre aux situations variées des mineurs constitue la seule voie à emprunter. Pour les faits les plus graves, l’incarcération doit rester une possibilité.

 

La CGT Pénitentiaire a tenu à faire un point concernant le traitement particulier des jeunes filles mineures, souvent oubliées et qui doit être repensé en profondeur. Certes, les femmes sont moins poursuivies et moins condamnées mais une minorité statistique ne pourra jamais justifier des conditions de détention qui vont à l’encontre des normes en vigueur et de la dignité des personnes.

 

Enfin, la CGT Pénitentiaire rend compte ci-après de ses réponses aux questions écrites par la commission du Sénat :

1) Quel regard portez-vous sur le fonctionnement des quartiers pour mineurs ? Parvenez-vous à maintenir une séparation stricte avec les détenus majeurs ? Comment travaillez-vous avec les éducateurs de la protection judiciaire de la jeunesse (PJJ) présents dans ces établissements ? Pensez-vous que le travail socio-éducatif mené auprès des jeunes détenus est de nature à préparer leur réinsertion ?

Le fonctionnement des Quartiers Mineurs n’est pas adapté à la prise en charge des mineurs comme dans un foyer PJJ ou un EPM. Le temps de l’incarcération n’est pas utilisé dans un QM à la création d’un projet de sortie ou à donner un sens à la peine.

Dans un centre pénitentiaire où se trouvent les quartiers mineurs, les mineurs sont souvent amenés à croiser des détenus majeurs lors de mouvements, à l’unité sanitaire ou pendant des activités. Dans un QM, les mineurs sont constamment en lien avec les majeurs par l’intermédiaire de discussions aux fenêtres et des « auxis » majeurs opérant dans le quartier mineur.

Le travail de la PJJ est très restreint en QM par le peu de présence sur la semaine des éducateurs. Idem concernant les enseignants.

En EPM, les collègues font remonter le fait que les rapports entre les surveillants et les éducateurs sont essentiellement le fruit de bonnes intelligences locales dans le travail et/ou l’aléa de directions locales DAP et PJJ qui s’entendent. Les collègues surveillants et les éducateurs regrettent le manque de politique globale pour tous les sites (pratiquement chaque EPM travaille différemment). Ils demandent une vision et des pratiques professionnelles concertées entre leurs deux administrations.

Egalement, ils font part de la formation spécifique (plutôt de l’absence de formation) des personnels de surveillance qui est essentielle tant en termes de technicité sur les aménagements de peine, de connaissance des implications de l’enfermement sur les comportements, que de connaissances des acteurs intervenant en détention.

2) La création des établissements pénitentiaires pour mineurs (EPM) a-t-elle, selon vous, marqué un progrès par rapport aux quartiers pour mineurs ? Les conditions de détention, la qualité du travail socio-éducatif vous paraissent-elles de meilleure qualité que dans les quartiers pour mineurs ? Seriez-vous favorables à la construction de nouveaux EPM ?

La création des EPM marque un tournant dans la gestion des mineurs incarcérés. L’aspect qualitatif est privilégié à l’aspect quantitatif, la prise en charge des mineurs par les éducateurs est à plein temps. La CGT rappelle aussi qu’à l’origine, tous les QM devaient fermer et que dans chaque région, devant la surpopulation pénale croissante, de nombreux QM ont rouvert ou sont demeurés ouverts. Parfois pour ne pas écrire souvent, ces QM servent au désencombrement des EPM ou à sanctionner un jeune qui se comporte mal en EPM. Pourtant, « à choisir », il vaut mieux plus d’EPM que cette situation !

Les conditions de détention se sont, elles aussi, améliorées : les détenus ont environ plus d’une vingtaine d’heures de cours par semaine avec l’éducation nationale en EPM contre une dizaine par semaine en QM quand cela ne se limite pas par endroit à la seule pratique sportive.

Des repas sont pris en collectif midi et soir dans un réfectoire avec le binôme “surveillant-éducateur” et un groupe de jeune (nombre dans le groupe variable d’un EPM à l’autre). Le mineur est, durant ce temps collectif, observé, recadré, écouté, ce qui n’est pas possible en QM car le repas est pris seul en cellule.

La création de nouveaux EPM serait une solution, à défaut d’une autre politique pénale, dans le but de faire baisser la population carcérale chez les mineurs, éviter l’éloignement familial sans les priver d’une prise en charge de qualité.

3) Les mineurs détenus en EPM sont suivis par un binôme surveillant pénitentiaire-éducateur de la PJJ. Comment fonctionnent en pratique ces binômes ? Quelle est la répartition des tâches ? Quel bilan dressez-vous de cette organisation ?

Le travail du binôme s’effectue de manière coordonnée à savoir, que le surveillant veille à la participation du jeune aux activités socio-éducatives scolaires et sportives. Il règle également les problèmes de sécurité et de discipline. L’éducateur construit, en relation avec la famille et les magistrats, un projet éducatif de sortie. L’organisation commune d’activité, de promenade, de mouvements et de temps collectif constitue le socle des EPM. Mais tout ceci, globalement reste très fragile. L’absence de politique commune entre DAP et PJJ tend les rapports sur des terrains entre les administrations, nos collègues surveillants constatant amèrement que le volet sécuritaire devient leur mission unique, avec les responsabilités individuelles et les rendus comptes qu’elles supposent. C’est un gâchis. Pourtant et par exemple, dans ce cadre, ce sont les surveillants qui réveillent le jeune le matin, et font la fermeture en soirée et donc, sont souvent à même, de déceler les petits et gros problèmes.

4) Quelles sont les spécificités du travail auprès des détenus mineurs par rapport aux détenus majeurs ? Quelle formation recevez-vous ? Comment sont sélectionnés les agents affectés dans ces établissements ? Des formations partagées avec la PJJ faciliteraient-elles le travail en commun ?

Le travail auprès des mineurs est totalement différent du travail avec les majeurs. Le nombre réduit de détenus permet une écoute et un partage des activités et des repas avec le binôme ce qui donne la possibilité au surveillant de déceler des incompatibilités entre détenus et aussi de définir un projet adapté à chaque détenu et de limiter les tentatives de suicide. Par exemple, en presque 11 ans et 3000 écrous, il y a eu 0 suicide à l’EPM de Marseille.

Les stages sont très variables et ont évolué en fonction des époques et des sites : A un moment donné, les agents devaient effectuer un stage de 15 jours à l’ENAP ainsi qu’un stage dans un centre PJJ de trois semaines. Depuis 2011, il apparaît que tout ceci soit devenu très dilué et qu’il n’est pas rare qu’un surveillant effectue juste des doublures dans son EPM pour seule formation.

Il existe parfois des formations communes avec la PJJ mais souvent proposées par l’AP aux deux administrations, l’inverse est très rare.

La sélection des agents s’effectue par mutation classique. De 2007 à 2009 une validation après un entretien oral était réalisée puis abandonnée par la suite. Mais la CGT Pénitentiaire n’est pas favorable au profilage. C’est sur la formation commune qu’il faut insister, dans le cadre d’une vision commune !

5) La mission a été alertée sur le nombre croissant de mineurs non accompagnés (MNA) en détention. Quelles conséquences ce phénomène a-t-il eu sur votre travail auprès des jeunes détenus ?

Les MNA, pour l’écrire clairement, les mineurs étrangers, représentent parfois 1/3 de l’effectif d’un EPM comme par exemple à l’EPM de Marseille, voire à Orvault. Il est évidemment plus difficile de travailler avec cette population au niveau des liens avec la famille lorsqu’elle se trouve à l’étranger. La barrière de la langue pose également de gros problèmes dans l’échange et l’aspect éducatif. Il se crée également un communautarisme entre ses minorités et leur éparpillement dans les unités, comme c’est parfois le cas dans certains EPM, n’est pas une bonne solution. Ces détenus sans papier peuvent parfois tricher sur leur âge réel pour bénéficier des peines encourues pour les prévenus mineurs et se retrouvent donc mélangés à de vrais détenus mineurs.

 

Montreuil, le 21 juin 2018

 Mineurs incarcérés Compte rendu CGT audition Sénat du 20 juin 2018